Ça faisait longtemps qu'on ne s'était plus penchés, pour rigoler un peu, sur un de ces mots de la langue française, détournés par les boulangers. Alors aujourd'hui on va parler des gueulards !
Et donc non !! Pour le boulanger, un gueulard, ce n'est ni quelqu'un qui râle parce qu'on est à nouveau confinés, ni quelqu'un qui beugle parce qu'on lui a fait une queue de poisson ou grillé la priorité... Pour lui, le gueulard, c'est (bien évidemment pardi what else ?) un FOUR, mais un four assez particulier en réalité.
Déjà , c'est... un four à bois : vous savez, un de ces fours dont on découvre en pointant son nez à travers la jolie petite porte en fonte, qu'il y a là derrière, une magnifique voûte en pierres - ces pierres qui mystérieusement, blanchissent alors que le four monte en température sous l'effet de la consummation des bûches : c'est même lorsque la voûte est devenue toute blanche et tout crayeuse que l'on sait que le four est chaud à point.
Derrière la porte en fonte, les bûches se transforment en braises, et les flammes semblent flotter en suspension (spectacle fascinant !) : le boulanger surveille et lorsque c'est le moment, il les disperse harmonieusement sur la sole avec sa racle à long manche, pour s'assurer que la chaleur soit bien répartie et qu'en tout point du four, la température soit uniforme.
Alors, quand le four est bien bien chaud (on parle d'environ 300°C là !), il retire soigneusement les braises en raclant la sole, il balaie les cendres, puis, toujours exposé aux fortes chaleurs du four, il nettoie la sole noircie de cendres avec une brosse recouverte d'un torchon humide, et hop ! on est prêt pour l'enfournement.
A ce stade, le four a en effet emmagasiné suffisamment de chaleur pour permettre la cuisson des pains "à chaleur tombante" : au fil des minutes, la température de l'enceinte baisse progressivement, ce qui est parfait pour le pain, qui a d'abord besoin d'être "saisi" avec une chaleur très vive, puis de cuire à coeur à une température descendante.
L'inertie naturelle du four fait que celui-ci sera encore chaud de longues heures après les fournées, et pourra être utilisé jusqu'au lendemain matin, pour des mijotages en cocotte voire pour des déshydratations.
Démarrer ce feu de bois, casser et disperser les bûches, répartir les braises, puis procéder à leur évacuation à la racle à l'entrée du four, les recueillir (sans se brûler !) encore rougeoyantes dans un réceptacle prévu à cet effet (caisson amovible ou brouette) : c'est une activité très physique, assez éprouvante, dangereuse même !, si on est distrait ou mal équipé. D'ailleurs, quel boulanger, professionnel ou amateur, n'a pas une belle cicatrice à montrer, associée à une croustillante anecdote gravée à vif dans sa chair ?
Mais quel plaisir de renouer avec les gestes des anciens, avec la tradition boulangère ancestrale, et quelle chance de pouvoir profiter de ces saveurs uniques que le feu de bois donne au pain... !
Concrètement : L'avantage de ce type de four à foyer séparé ? Il est double :
1 : cela dispense le boulanger d'avoir à récurer et balayer soigneusement sa sole avant l'enfournement (on l'a vu, c'est physiquement très intense, et passablement dangereux)
2 : cela permet de pouvoir faire remonter son four en température en cas de besoin, pendant une fournée, ou plus vraisemblablement entre deux fournées, en réactivant le foyer sans avoir à re-salir et à re-récurer la sole - on gagne ainsi en temps, en souplesse et en confort de travail
CQFD : Le gueulard : un coup de gueule bien justifié !
Un grand merci à Ka P's et Antoine du groupe Facebook Je Fais Mon Pain au Levain, ainsi que Yannick, Alexandre, Eugénie, Laurie et Séverine, qui nous ont fourni les photos ci-dessous et/ou partagé leurs expériences vécues face à de tonitruants gueulards ;)
Bonne journée à tous !
Comments