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  • Photo du rédacteurLeila

[Tu parles pas Boulanger ?] Faire POINTER son pâton

Dernière mise à jour : 29 sept. 2020


« Pointer » du doigt, « pointer » les comptes, « pointer » à l’usine, « pointer » à la pétanque, … voilà encore un de ces verbes aux sens multiples que les boulangers se sont accaparés pour leur donner un sens « super private » que seuls les initiés comprennent !!

Alors que dans le langage courant, « pointer » est résolument un verbe d’action, « pointer » en boulangerie désigne… une phase de repos ! Qu’ils sont facétieux ces boulangers !



Le repos, la phase d’inaction qui cache bien son jeu

La fabrication de pain demande peu de temps "actif" mais s’étend généralement sur des périodes assez longues : c'est que le process implique une succession d’opérations brèves, d’abord de mélange (frasage, pétrissage), puis de mise en forme (division, façonnage, scarification de la surface), mais que ces opérations sont entrecoupées de longs temps morts où… on laisse la pâte se reposer, tout simplement !

Pourquoi ces repos sont-ils si importants ?

Parce que ce sont les moments où, loin de la main de l’homme ou du pouvoir de la machine, se déroule la fermentation panaire (on dit aussi : la « pousse », ou : le « développement » du pâton). La fermentation est une réaction chimique fondamentale dans la fabrication des pains « levés » : la pâte, qui a « ensemencée » par de petites doses de ferments (levain, levure), activée par la présence d’eau, et exposée à des températures propices, va connaître, en l’espace de quelques heures, de profondes mutations intérieures qui vont déterminer le goût et les parfums du pain, la texture et l’apparence de sa mie, et sa capacité à prendre du volume.

Progressivement en effet, c’est pendant la phase de fermentation que l’amidon de la farine (un sucre complexe) va se décomposer en sucres simples (comme le glucose), dont les levures, en particulier, vont se nourrir avant de relâcher du gaz carbonique, des alcools, et des acides organiques, qui vont rester plus ou moins emprisonnés dans le « réseau » de la pâte : ces « déchets » produits par les levures sont ce qui donne au pain ses parfums et ce qui lui permet de lever !

Plusieurs façons de se reposer

La fermentation a lieu principalement à 2 moments clés du process de fabrication du pain : après le pétrissage (c’est le « pointage »), et après la mise en forme, juste avant l’enfournement (c’est l’ « apprêt » - encore un de ces mots "détourné" par les boulangers !).

A chaque pain ses spécificités, et à chaque tradition boulangère ses marques de fabrique, mais si on veut comprendre la distinction entre ces types de fermentation, voilà à quoi tiennent en général les différences :

- le pointage est généralement plus long (2 à 3h) que l’apprêt,

- le pointage a le plus souvent lieu « en masse » ou « en cuve » (c’est-à-dire qu’on laisse toute la masse de pâte au repos, soit dans la cuve dans laquelle elle a été pétrie, soit dans de grands bacs) alors que l’apprêt a lieu après que le pâton a été divisé et mis en forme en portions unitaires : on dit souvent que le pointage a donc lieu en milieu anaérobie (faible accès à l’oxygène) alors que l’apprêt se fait en milieu aérobie (meilleur accès à l’oxygène)

- le pointage se fait, sauf exceptions, à température ambiante, alors que l’apprêt peut se faire au froid

De par ces distinctions, il se passe en réalité des choses assez différentes pendant ces 2 phases de repos : globalement, le pointage est le moment du développement des arômes, tandis que l’apprêt est le moment de la levée du pâton.


Repos, patience… et humilité

C’est dire s’il s’en passe des choses, pendant ces phases de repos ! … et à quel point on gagne à les respecter, quand bien même on voudrait « faire vite » !

Qu’on ne s’y trompe pas ! Il ne s’agit pas seulement d’être patient : encore faut-il aussi s’y connaître… Certes, le boulanger obéit à des protocoles d’une très grande précision, mais il est avant tout capable de réellement « sentir » sa pâte, et de savoir comme personne, au toucher ou à l’œil, comment elle évolue et quand « elle est prête » pour la prochaine étape.

Cette connaissance s’acquiert dans la durée et avec la pratique, mais n’est jamais définitivement acquise, tant les paramètres du vivant sont nombreux et imprévisibles.

La durée respective de ces phases de repos décrites ci-dessus, complétées parfois par d’autres « temps morts » (l’autolyse, ou la détente, par exemple… en en parlera plus tard !), les températures et l’hygrométrie dans lesquelles elles se déroulent, le taux d’ensemencement initial avec les levures et/ou le levain, les propriétés des différentes farines…, sont des paramètres que le boulanger apprend à maîtriser mais n’a jamais réellement fini d’apprivoiser. C’est bien ce qui rend « l’art de faire du pain » si fascinant : sous l’apparente simplicité d’un assemblage de 3 ingrédients élémentaires (farine, eau, sel), se cachent une complexité et une subtilité inouïes ! qui rendent humble mais qui stimulent l’envie de comprendre.


Légende : pâton qui a "pointé": on voit à sa surface irrégulière et aux petites poches d'air en surface, que la fermentation fonctionne à plein régime : les levures ont manifestement produit du gaz carbonique ! Le pâton doit désormais être "dégazé" (écrasé, rabattu, replié, reformé) pour évacuer ce trop plein de gaz, réoxygéner la pâte et relancer la fermentation pendant la phase d'apprêt.

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