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  • Photo du rédacteurLeila

[Tu parles pas Boulanger ?] Tu me BASSINES... (cette pâte) !


Quand un Boulanger te dit que tu (le) bassines, ne le prends pas mal : il n'est pas en train de dire que tu le gonfles. Il te demande en réalité de réaliser un geste technique qui pourrait bien... gonfler ton pain.


Explications.


Le verbe "bassiner" en langage courant proviendrait du mot "bacin", qui il y a bien longtemps-dans-un-ancien-temps-d'avant-naguère, désignait un ustensile en cuivre qu'on tambourinait depuis la rue, pour faire des annonces au voisinage. Cela devait être péniblement assourdissant, et on peut donc aisément comprendre que "baciner" devenu "bassiner" ait par extension, voulu dire : importuner, ennuyer prodigieusement.

D'autres font pourtant plutôt le lien avec le geste monotone et ennuyeux qu'on réalisait avec la "bassinoire"- une espèce de bassine (en cuivre, encore une fois) pourvue d'un très long manche et recouverte d'un couvercle ajouré, qu'on remplissait de braises et qu'on faisait glisser entre les draps dans un mouvement lent et continu : ainsi, on "bassinait" son lit pour le réchauffer les soirs de grand froid.


Notez bien que dans les deux cas, la racine du mot désigne un ustensile, et plus précisément, un contenant.


Alors, comment ce mot a-t-il atterri dans le vocabulaire du boulanger ?

Supputons que cela vient de l'usage qui est fait de ladite "bassine" de cuivre (aujourd'hui le seau en plastique !) : en effet, le boulanger avait (et a toujours) coutume de "répandre des bassinées d'eau" sur la pâte en cours de pétrissage.

Le bassinage manuel d'hier (voir gravure ci-contre, issue d'un article de Marc Dewalque sur biolevain.com) ne diffère guère du bassinage manuel d'aujourd'hui (voir cette vidéo partagée par la boulangerie Bricheton à Paris). Sauf qu'aujourd'hui on a plus l'habitude d'ajouter l'eau dans un pétrin mécanique :)

Quand on sait que le bassinage sert aussi à réguler la température de la pâte pour optimiser sa fermentation, il est tentant de voir également dans le choix de ce mot, une référence (un peu tirée par les cheveux, certes) à la fameuse "bassinoire", cet ustensile utilisé comme chauffe-lit jusqu'à l'après-guerre étant aussi associé à la notion de chaleur.


Mais tenons-en nous aux définitions : bassiner une pâte, c'est "l'humecter", et c'est plus précisément : l'humecter pour l'assouplir.


Mais... pourquoi diable ajouter de l'eau en cours de pétrissage au lieu de l'incorporer une bonne fois pour toutes dès le mélange des ingrédients ?

Pour plein de bonnes raisons, figurez-vous.


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1) D'abord, parce que la quantité d'eau nécessaire pour faire un pain varie selon la farine utilisée, et selon les conditions dans lesquelles elle a été conservée.

Les farines n'ont pas toute la même hygrométrie, et bien malin celui qui peut prétendre connaître la proportion d'eau exacte et universelle idéalement associée à une recette. Certaines farines absorbent plus d'eau que d'autres, il est donc important de pouvoir ajuster la quantité d'eau incorporée après un premier apport, une fois qu'on a observé ou tâté sa pâte pour voir si elle est encore "raide" ou "ferme" (c.à.d encore trop sèche), ou si elle est déjà suffisamment "douce" ou "souple".

(on expliquera bientôt dans une autre chronique ce qui doit être fait si la pâte est à l'inverse trop humide, et quel mot farfelu les boulangers ont encore trouvé pour désigner cette opération 😋)

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2) Ensuite, parce que lorsqu'on pétrit sa pâte, a fortiori si on la pétrit mécaniquement, on la réchauffe, parfois beaucoup, ...et parfois beaucoup trop. Or, une pâte trop chaude va fermenter trop vite, ou mal constituer son "réseau glutineux", c.à.d sa structure matricielle de base, avec ses caractéristiques d'élasticité et d'extensibilité essentielles, qui vont lui permettre d'emmagasiner de l'air au pétrissage (ce qui permet d'activer la fermentation) et de retenir les gaz produits lors de la fermentation pendant la cuisson - en clair : si ta pâte chauffe trop, malheureux ! tu vas avoir une mie pourrie.

Inversement, si ta pâte est trop froide parce que c'est l'hiver, ta maison est sous-chauffée, ton eau du robinet gelée,... ta fermentation va avoir du mal à démarrer : la température à coeur idéale pour une bonne fermentation panaire étant de 25-30°C (voir chronique sur la "TB", la Température de Base).

Bref : tout ça pour dire que le "bassinage" permet donc d'incorporer une eau plus ou moins chaude ou plus ou moins froide au cours du pétrissage, afin d'obtenir pour ta pâte, la température finale idéale pour réussir ton pain.

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3) Enfin, le bassinage est LE moyen ULTIME d'augmenter le taux d'hydratation d'une pâte (c.à.d sa teneur en eau, exprimée par le ratio poids d'eau / poids de farine), bien au-delà de ce que la pâte aurait été capable d'absorber si on avait tout incorporé au début du pétrissage - or !!! ... Or : qui dit fort taux d'hydratation, dit pains à la mie plus légère et à l'alvéolage moins serré, une pâte ayant tendance à mieux se développer en cuisson (ie : gonfler) lorsqu'elle est bien hydratée.

Mais quiconque a bravement essayé d'augmenter l'hygrométrie de sa recette en incorporant plus d'eau au démarrage, pourra témoigner de cette vision d'horreur : une pâte supra-collante, impossible à manipuler, lâche et sans force, qui au final donnera une mie pâteuse qui colle aux gencives. Le désastre absolu... !

En revanche, ce même supplément d'eau ajouté en cours de pétrissage, alors que la pâte a d'ores et déjà acquis un peu de force et de structure, rend son incorporation miraculeusement facile : en quelques instants la pâte "boit tout", elle prend même au passage un aspect plus lisse, elle se tient bien, se décolle allègrement des parois, et elle en redemanderait presque encore ! C'est à qui en rajoutera le plus...

Il n'est d'ailleurs pas rare de voir les boulangers rouler des mécaniques à l'évocation des taux d'hydratation qu'ils ont réussi à atteindre : le "TH" (taux d'hydratation) est comme un indice de performance, un trophée, le 9 s 58 d'Usain Bolt, un acte de bravoure, que dis-je !, une réalisation héroïque ! et cela tient en effet de la performance, tant il est vrai qu'il faut du doigté et de l'expérience, pour ajouter cet innocent petit supplément d'eau au bon rythme et au bon moment, sous peine de basculer dans l'Univers Cauchemardesque du Visqueux.


Mais qu'on se le dise : le TH n'est pas tout. La "réussite" d'un pain est le mystérieux résultat d'une expérience multifactorielle, où hydratation du pâton, durée de fermentation, charge bactérienne de départ ou de l'agent levant, température, minéralité / force et parfums de la farine, action mécanique, humidité de l'enceinte de cuisson, profondeur et localisation de la scarification en surface, ... et pourquoi pas : l'humeur du boulanger ?!!..., sont autant de paramètres qui influent sur le résultat, et qu'on n'apprivoise qu'avec le temps et qu'on explore de manière très personnelle. Le pain est universel, mais la façon de le préparer est multiple et le chemin d'apprentissage infini. C'est ce qui contribue à sa beauté et son mystère.


Bien. Maintenant que vous voilà bien bassinés, il va falloir vous jeter à l'eau.

Rendez-vous dans la rubrique "recettes" du blog pour vous laisser tenter par les recettes de pain maison que nous avons partagées, et surtout restez connectés : le prochain atelier virtuel est pour très bientôt, et ... il sera placé sous le signe de la Binouze !


Santé !





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