C'est la rentrée ! Et les enseignants collectent à nouveau les cahiers de nos écoliers pour les émarger avec leurs éternels petits sigles aux lettres savamment formées, en rouge en général !, qui indiquent qu'ils ont bien vu et évalué le travail de nos enfants : on leur donne du "vu", du "ab", du "b", et bien sûr... le graal des émargements, le fameux "tb" !
Mais là encore, dans le monde de la boulangerie, le sigle "TB" renvoie à une réalité tout autre ... et c'est ça qui est amusant.
Penchons-nous donc un peu sur cette fameuse TB...
"TB" est le sigle résultant des mots "Température de Base". Oui comme ça à première vue, ça fait un peu langage d'ado ou de génération X. En réalité, c'est un concept fondamental pour les boulangers professionnels... et que les boulangers amateurs, au fil de leurs expérimentations, découvrent un jour ... avec effroi ou ... avec délices !, selon leur niveau d'acharnement et leur tendance, ou pas, à couper les cheveux en 4 pour essayer de comprendre pourquoi un jour, leur pain a magnifiquement levé, explosif comme un ballon de baudruche 🎈, et pourquoi la semaine suivante, avec le même protocole, les mêmes ingrédients et les mêmes outils (four, pétrin, etc), ... il s'est effondré et a pris l'apparence d'une galette bretonne (ou d'un frisbee 🥏, si on veut rester dans le registre des jeux d'écolier).
Ça vous évoque quelques souvenirs ?
Je vous sens quand même un peu sceptiques. En effet, ça paraît invraisemblable d'imaginer qu'une simple histoire de température explique à elle seule qu'on obtienne des résultats aussi radicalement opposés, ...eh bien pourtant, à iso-facteurs, c'est quand même bien le cas, et c'est même scientifique s'il-vous-plaît.
La température de base, c'est en effet une température de référence, déterminante pour éviter les variations de qualité du pain, et le boulanger est extrêmement vigilant et met tout en oeuvre pour respecter ces températures dites "de base", qui sont fixées expérimentalement dans son fournil avec son matériel et pour chacune de ses recettes.
Et c'est là qu'on vous invite à sortir les calculettes.
(on vous l'a dit : c'est la rentrée !!!!)
Vous avez cru que parce qu'on parlait températures, on allait juste dégainer un thermomètre ? Que nenni !! Rappelez-vous, les boulangers sont bien plus complexes que ça ;)
Donc là c'est cours de maths les zamis...
En énoncé de problème, ça pourrait donner ça : fermez les yeux et imaginez la voix du prof qui dicte le problème à résoudre :
Au niveau CP, ça donnerait :
"Etant donné que la Température de base recherchée est de 60°C, que la température ambiante du fournil est de 22°C et que la farine est à 18°C, calculez la température de l'eau de coulage* que devra utiliser le boulanger pour réaliser son pain"
*Pause définition : eau de coulage : encore un terme alambiqué de boulanger pour désigner l'eau qui fait partie de la liste des ingrédients dans la recette du pain (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué et rester entre experts ?).
Au niveau Terminale option Physique Chimie, ça donnerait plutôt :
"Le pétrin à axe oblique du boulanger est en panne, il va lui falloir utiliser un pétrin spirale : compte tenu de la différence d'échauffement mécanique entre les 2 appareils, recalculez la température de base à respecter et les durées et vitesse de pétrissage pour que la température de pâte en fin de pétrissage soit de 24°C et permette la multiplication des bactéries lactiques et acétiques sans empêcher le développement des levures".
C'est du chinois ?
Bon allez ok on vous la fait en français.
La fermentation d'un pâton est une étape essentielle pour la qualité du pain : les arômes, le volume, la couleur... tout cela se joue en fonction du joyeux cocktail de bactéries et levures qui se développent pendant la phase de repos du pâton, après pétrissage. C'est en effet pendant l'"apprêt" et le "pointage", les 2 étapes clés de la fermentation, que ces petites bébêtes d'emblée présentes dans le pâton et provenant de la farine, du levain, de la levure, des mains du boulanger ou même de la surface des ustensiles utilisés, vont "bouffer" les sucres naturellement présents dans la farine et rendus "disponibles" grâce à l'action de l'eau, et se multiplier allègrement, pour le plus grand bonheur de nos papilles.
Or, pour qu'un pâton fermente dans de bonnes conditions, et que lesdites bébêtes se multiplient comme il se doit, il faut que le pâton soit grosso modo à 24-25°C : c'est la température à privilégier pour que levures et bactéries se sentent pleinement à leur aise et s'éclatent (dans tous les sens du terme ?!) dans un écosystème harmonieux et pacifique, c'est à dire sans se nuire les unes aux autres.
Pour s'assurer qu'un pâton atteindra cette fameuse température finale après pétrissage, il faut prendre en compte plusieurs paramètres, qui vont chacun avoir un impact, et qu'il s'agira donc de contrôler et maîtriser :
- la température ambiante du fournil,
- la température de la farine, qui peut varier significativement selon son lieu de stockage
- la température de l'eau, qui selon les saisons variera également beaucoup
- le type de pétrin utilisé, la vitesse de pétrissage et la durée de pétrissage, qui provoquent des échauffements de pâte variables pendant le processus de pétrissage (ou, si on pétrit à la main : la température de nos mains, l'énergie déployée et la durée du pétrissage manuel)
Et c'est donc là qu'apparaît le concept de température de base : pour un mode de pétrissage donné (on considère qu'il restera le même pour une recette donnée), les boulangers définissent une température de référence qu'il faudra s'efforcer d'atteindre, sorte de petit chiffre magique, le respect de cette température de consigne donnant toutes les garanties pour qu'à la fin du pétrissage, le pâton soit bien stabilisé aux alentours des 24-25°C escomptés.
Cette température de référence ou de consigne, c'est la température de base, et elle s'exprime selon la formule de calcul suivante :
Ainsi, selon ses recettes de pain et selon les programmes de pétrissage de ses différents pétrins, le boulanger va viser une TB de 50-52°C pour telle recette, 70°c pour telle autre, etc.
La variable d'ajustement classique du boulanger pour se caler sur la TB désirée, c'est l'eau. En effet, difficile de faire évoluer la température du fournil, qui est un peu une donnée fixe (mais qui peut varier selon les saisons selon les systèmes de chauffage et/ou de climatisation !) ; pas simple non plus, on peut l'imaginer, d'influer sur la température de la farine. En revanche, on peut se débrouiller pour jouer assez facilement sur la température de l'eau : par exemple, en installant des dispositifs de refroidissement pour la rafraîchir quand c'est canicule, ou au contraire la réchauffer quand c'est l'hiver et qu'elle sort du robinet à 12°C !
Bon, convaincus ?
Ou... perdus ? effrayés ? désemparés ?
Faites donc l'essai et vérifiez par vous même !
On vous guide :
Dans la plupart des recettes qu'on trouve dans les livres de boulangerie, à réaliser avec le robot ménager selon les consignes données, la TB visée est de l'ordre de 60-62°C. Si vous stockez votre farine dans le placard de la cuisine, et que dans la maison en ce moment il fait environ 25°C, ça veut dire que grosso modo,
T° Farine + T° Ambiante = 50°C,
et que pour atteindre les 60°C visés,
il vous faut donc idéalement utiliser une eau à... 10°C !
(la formule pour les matheux :)
C'est plutôt pas mal de le savoir non ? Car l'eau du robinet pourrait bien sortir en ce moment à 18-20°C, ce serait ballot de rater son pain pour ça :)
Inversement si vous aviez fait cette même recette il y a 15 jours quand on se serait cru à l'automne avec nos 14°C bien tassés..., on aurait plutôt eu l'équation suivante :
T° Farine + T° Ambiante = 28°C,
d'où une T° d'eau requise de... 32°C.
Ben ouais c'est pas la même histoire.
Vous comprenez mieux la différence entre le ballon de baudruche et le frisbee évoqués plus haut ?
;)
En espérant que ce petit cours de maths aura changé le cours de votre vie ou au moins, qu'il vous permettra de mieux réussir vos prochains pains...
En tout cas c'est TB d'avoir lu ce post jusqu'au bout ;)
Comments